Absent du débat, l’assistant familial n’aurait-il rien à dire ?
Notre "Tribune" dans la revue ACTUALITÉS SOCIALES HEBDOMADAIRES - N° 3097 du 8 FÉVRIER 2019
Le Syndicat professionnel des assistants familiaux s’invite dans le débat sur les «enfants de l’ASE» pour mettre en lumière les difficultés d’une profession «en souffrance».
L’émission « pièces à conviction » et son débat suscitent beaucoup d’émotion et de réactions parmi les assistants familiaux, il suffit d’en suivre les échanges sur les réseaux sociaux. Nous pouvons dire sans trop de risque que la majorité d’entre nous saluent le combat digne et courageux de Lyes, Myriam et tant d’autres anonymes car jamais jusqu’ici la parole des enfants placés n’a pu se faire entendre à une heure de grande écoute.
Mais un autre acteur de cette protection de l’enfance dénoncée dans tout ce qu’elle a de plus indigne et insupportable était absent du débat.
Il s’agit de l’assistant familial, certes nous aurons vu Frédérique expliquer, face caméra, son quotidien avec ses enfants accueillis. Nous avons appris qu’en Corse de la bouche un assistant familial maltraitant et condamné peut continuer de travailler et qu’il n’existe aucune évaluation pour exercer ce métier. Nous sommes très étonnés, avec l’intime conviction que nous venons de perdre définitivement une occasion de susciter de nouvelles vocations… Comment ? L’argent ? vous avez entendu comme nous que ces deux professionnels gagnaient 4000 euros par mois plus les 2500 d’indemnités pour l’accueil de six enfants.
DÉFENDRE NOTRE PROFESSION
Nous sentons l’urgence de proposer un autre éclairage, avec un angle de vue différent, et pourtant il s’agit du même film : les enfants sacrifiés de la république !
Nous sommes un collectif d’assistants familiaux bénévoles, organisés en syndicat professionnel et indépendant- le Syndicat des Assistants Familiaux (SAF) – dont l’objectif est la défense et la reconnaissance de notre métier. Depuis 2008 nous interpellons notre principal employeur, le conseil départemental du Tarn, mais intervenons aussi sur le plan national. Grâce à la création de notre site www.safsolidaires.fr, nous recueillons, accompagnons, et alertons sur les difficultés grandissantes auxquelles sans bruit, les mineurs et jeunes majeurs qui nous sont confiés sont soumis.
Nous dénonçons les prises de risques que nous faisons vivre à tous y compris à nos propres enfants et à nos familles.
En février 2014, le SAF a déposé au cabinet de Mme Rossignol ( alors secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, ndlr) un rapport sur cette profession émergente avec un bilan et des propositions concrètes.
Jamais métier n’aura subi autant de transformations. Nous avons obtenu un statut en 1992, et une professionnalisation avec un diplôme d’état en 2005. Les assistants familiaux exercent dans une structure et un dédale juridique complexes car soumis en dernier lieu aux règlements départementaux pour lesquels il n’y a aucune harmonisation des pratiques sur l’ensemble du territoire national. Environ 38000 assistants familiaux sont employés par les conseils départementaux.
DES CONDITIONS D’EXERCICE VARIABLES D’UN DÉPARTEMENT A L’AUTRE
Un assistant familial doit avoir un logement répondant à des normes de sécurité et de confort, il doit faire une demande d’agrément qui sera accordé au maximum pour trois accueils, suivre 300 h de formation obligatoire à la charge de l’employeur, dont 60 h avant l’accueil du premier enfant. Cette dernière condition n’est quasiment jamais respectée
En général, le salaire est de 4 h de Smic par jour pour un accueil soit 920 euros net par mois, auquel peut s’ajouter une indemnité complémentaire en cas de troubles particuliers, de handicap chez l’enfant.
Chaque département, selon sa volonté politique, décide d’octroyer ou non des allocations spécifiques aux assistants familiaux. Dans certains départements, le salaire sera dégressif en fonction du nombre d’enfants accueillis ; dans d’autres, il sera attractif afin de pallier au manque de candidats. L’indemnité d’entretien (nourriture, cantine, frais divers …) varie selon le département (entre environ 12 et 25 euros par jour, 15 euros pour le Tarn). Nous dénonçons ces différences de traitement.
Il y a vingt ans, nous accompagnions des enfants pas trop cabossés par la vie, capables de faire un minimum d’études voir de grandes études, capables de s’insérer dans la société, de construire une famille et de réussir dans leur vie professionnelle. Elle est là notre compétence, notre vocation : mettre debout ces enfants, qui ne demandent rien, juste parce que leur parcours a déjà été un parcours de combattants. Nous savons les accompagner, les sécuriser, les consoler, les rassurer, les aimer pour qu’un jour, leur devenir soit de nouveau possible, en tous cas qu’ils puissent envisager un avenir moins sombre qu’à leur arrivée chez nous. C’est là notre unique ambition, c’est là notre savoir-faire.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons projeté dans l’accueil dit thérapeutique sans que cela soit accompagné ou nommé, nous partageons avec nos familles, les troubles du comportement, la maladie psychiatrique, la déscolarisation … Une tâche particulièrement compliquée sans une formation adaptée ni un travail d’équipe partagé suffisant.
Nous sommes les invisibles, les agents non titulaires de la fonction publique, les intermittents du social et pour effectuer notre mission, pour accompagner quotidiennement l’indicible et la souffrance, nous mettons à disposition de l’Etat ce que nous avons de plus cher : notre famille, notre domicile et notre temps (24 heures sur 24 )
Nous dénonçons l’équation actuelle qui consiste à confier plus d’enfants à moins de familles, sans tenir compte de la constellation personnelle de l’assistant familial, ni des problématiques des autres enfants accueillis, qui conduisent à toutes les dérives. L’assistant familial accepte par crainte que l’on ne lui confie plus d’enfants, par méconnaissance, soumission mais aussi cupidité.
Les enfants confiés sont censés être pris en charge, protégés, soignés, accompagnés, sécurisés, dans un univers familial. Par manque de moyens, de moins en moins d’évaluations des familles d’accueil sont faites. Certains départements ne communiquent pas entre eux ou ferment les yeux sur ce qui se passe (enfants logés en caravanes, famille d’accueil travaillant pour deux départements et cumulant six à neuf accueils…). Ce sera de toute manière l’assistant familial qui sera en première ligne en cas de « problème ».
Nous refusons de devenir les antichambres des institutions spécialisées qui démissionnent, des écoles qui n’intègrent plus ces jeunes déstructurés et en souffrance. Que dire des services de pédopsychiatries qui renvoient les jeunes chez nous les week-ends et les vacances d’été – car la maladie, c’est bien connu, part en congés! Chacun met en avant son manque de moyens et semble aujourd’hui démuni pour remplir sa mission. Quelle bombe à retardement sommes nous an train de construire ?
Ajoutons le manque de places dans les structures dites « spécialisées » – instituts médico-éducatif (IME), instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) – ainsi qu’en pédopsychiatrie, où les listes d’attente sont de deux à cinq ans.
Notre métier est devenu une profession à risque où, à la suite à un signalement, par principe de précaution, on nous retire tous les enfants confiés sans retour possible, et peu importe les liens d’attachement crées. La perte de salaire est immédiate, et nous jette dans une grande précarité. Pas de présomption d’innocence.
Culpabilisées ainsi de plus en plus d’assistants familiaux, essaient de tenir jusqu’au burn-out, ou à la dépression réactionnelle. Dans notre profession, les jours d’accidents de travail ou arrêt maladie, encore rares il y a dix ans, sont en augmentation.
Nous assistants familiaux du SAF, demandons depuis des années, à être reconnus dans notre travail et à faire partie intégrante des équipes « enfance ». Nous proposons la mise en place de groupes de paroles et de formations communes avec les travailleurs sociaux. Et invitons les autres acteurs à commencer par les employeurs, à une meilleure connaissance et au respect du cadre légal de notre profession. Nous déplorons une absence trop fréquente de contrat d’accueil, ainsi qu’un manque de réflexions sur les besoins des enfants, et de concertation et de participation au projet de l’enfant. L’assistant familial reste encore le plus souvent un simple exécutant.
Sont à l’œuvre, du côté de l’employeur, rapports de force, abus de pouvoir et infantilisation et du côté de l’assistant familial, manque de confiance et de connaissances, et immaturité,
Le challenge mérite d’être relevé, tant cette profession est en souffrance et mérite une analyse et des propositions constructives afin de pouvoir être exercée de manière pérenne.
Les enfants placés de l’ASE méritent bien cela, et leurs familles également. Ces enfants sacrifiés, sont aussi nos enfants, ceux de la république. Des adultes de demain.
seront-ils debouts ou ballottés entre la rue, la maison d’arrêt et l’hôpital psy ?
Représentons-nous une profession en voie de disparition ? en tous cas, qui peine à se renouveler et à être entendue autrement que dans les faits divers.
Un sénateur à décidé de créer un groupe de travail. Puisse-t-il nous entendre !!! entendre enfin la voix des invisibles.
Car contrairement à ce que tous les intervenants se plaisent à croire, nous avons tant de choses à dire !
Contact ; safsolidaires81@yahoo.fr